Le 21 septembre 2001 à partir de 10H17, policiers et pompiers sont submergés d’appels. Au bout du fil, toujours les mêmes mots affolés : « Il y a eu une explosion près de chez moi ! ».
L’explosion viendrait d’ici, ou de là, ou plutôt de là…. A chaque fois que sonne le téléphone, le nombre de blessés augmente. Les secours ne peuvent être partout à la fois.
Quand AZF est enfin identifié comme étant à l’origine de l’accident, tous les services de secours se rendent sur les lieux.
Une fois sur site, les autorités policières comprennent que, dans l’immédiat, priorité doit être laissée aux équipes de premiers secours qui évacuent les blessés, ainsi qu’au personnel de l’usine qui s’efforce de sécuriser la zone. Sur la gigantesque étendue couverte de hangars effondrés et de résidus divers, des fumées s’échappent d’un peu partout. Nul ne sait quels produits sont responsables de l’explosion, personne n’a idée des risques encourus en restant sur place. Les employés qui circulent parmi les décombres pour parer à un nouvel accident portent des tenues de protection.
Le commissaire est là
Sept ans et demi plus tard, le commissaire Saby témoigne à la barre de la salle Jean Mermoz. En septembre 2001, il travaillait au SRPJ de Toulouse.
L’enquête a d’emblée été difficile. La police n’a eu accès à l’immense « scène de crime » qu’une fois les victimes emmenées et la sécurité des lieux assurée. Toute la zone avait été piétinée, surfréquentée. D’autre part, les policiers n’étant pas chimistes, ils ont eu dans un premier temps pour seule source d’information les déclarations des employés présents sur le site. Ils prenaient note des produits stockés, des réactions chimiques potentielles.
Au départ, tout le monde semblait penser que l’explosion avait eu lieu à l’endroit où s’était creusé un énorme cratère de six mètres de profondeur.
Ce n’est qu’au bout de deux mois que les services de police vont disposer des éléments permettant d’incriminer le fameux hangar 335, celui-là même qui sera au cœur de l’hypothèse judiciaire. Et pourtant… la commission d’enquête dépêchée par Total avait identifié ce hangar dès le 23 septembre. Rapidement après son arrivée, cette commission avait entendu M. Fauré, le responsable du bâtiment 335. Il faut dire qu’ils connaissaient bien la géographie de l’usine et les produits présents, eux ! Pour le commissaire Saby, la commission Total a « massacré » la scène de crime. Cette équipe d’ingénieurs et de techniciens de haut niveau venue de Paris a très vite (trop vite ?) promu la thèse selon laquelle un mélange chlore-nitrate était à l’origine de l’explosion.
Un travail de fourmi
Le premier travail de la police, c’est d’explorer absolument toutes les pistes. Dans le cas présent, la piste criminelle est suivie comme les autres. Tous les éléments qui plaident en faveur d’un attentat sont passés en revue. Plusieurs témoins ont signalé que deux hélicoptères avaient survolé la zone peu avant l’explosion. Et puis il y a cette histoire de sous-vêtements multiples portés par un employé d’AZF nommé Hassan Jandoubi. M. Jandoubi a été retrouvé mort sur le site. Est-il possible qu’il ait été un kamikaze islamiste (porter plusieurs couches de sous-vêtements pourrait avoir une signification religieuse) ? D’autres pistes évoquent un choc électrique, ou mettent en cause une conduite de phosgène de la SNPE voisine, etc.
Ces pistes ne mèneront finalement nulle part.
Usine poubelle ?

Une chose est claire pour la population toulousaine, AZF était une usine poubelle. Mais les employés de la Grande Paroisse luttent contre ce discours. Gilles Fauré, l’homme du hangar 335, déclare que dans ce bâtiment « on pouvait pas y pique-niquer, mais presque ». En interne, tout le monde espère que l’usine va redémarrer. Mais la réconciliation entre les Toulousains extérieurs à AZF et les employés de l’usine est impossible, ces derniers reprochent à la population de refuser que leur usine continue de fonctionner.
Il faut noter le professionnalisme du personnel d’AZF, qui a probablement empêché un suraccident le 21 septembre. En effet, d’autres produits, bien plus dangereux – des wagons remplis de chlore – se trouvaient sur le site, et ils auraient pu prendre feu. Les morts se seraient alors comptés par centaines.
Jour après jour, je continue d’assister aux audiences, comme les autres professionnels au service du bon déroulement de ce procès, quel que soit leur rôle. Les séances démarrent à 13H et finissent souvent entre 22H et 23H. Le président est infatigable. Ça n’est pas le cas de tout le monde dans la salle Jean Mermoz, et je peux vous assurer que ce n’est pas le cas en régie… J’ai à mes côtés un ingénieur du son, chargé de la restitution sonore dans la salle et de l’enregistrement audio. Une scripte est également présente. Elle prend en note chacune des interventions, et inscrit leurs horaires. Lorsque les enregistrements vidéo seront disponibles, il sera ainsi possible de retrouver un passage sans avoir besoin de regarder toutes les audiences qui l’auront précédé ! Certes, les greffières du tribunal retranscrivent elles aussi les débats et les horaires, mais leur travail est destiné aux archives de la justice.
Je ne filme pas seulement les personnes, je suis aussi chargé de projeter des pièces à conviction que le président me remet, films, photos, et autres documents illustrant les propos du tribunal. Ce sont d’ailleurs tous ces éléments qui me convaincront que, non, décidément, cette usine n’était pas une usine poubelle.
Faute de Président ou de Premier Ministre, un député
Je sais, comme tout le monde ici, que le couple à la tête de l’Etat français en 2001 – c’était la cohabitation – a été cité à comparaître par un avocat des parties civiles. La possibilité d’un témoignage du Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, et de son Premier Ministre, Lionel Jospin, captive déjà les foules. Mais la curiosité du public sera déçue : ils ne viendront pas ; Jacques Chirac en raison de l’immunité conférée par la Constitution au chef de l’état pendant l’exercice de ses fonctions, et Lionel Jospin parce qu’il estime ne rien avoir à dire sur l’affaire.

Du coup, ce sera Gérard Onesta, vice-président Vert du Parlement Européen, qui fera salle comble. En 2001, il manifestait déjà depuis longtemps contre une usine qu’il jugeait dangereuse. En tant que sinistré du 21 septembre et élu écologiste de renom dans la région, il s’exprime depuis plus de sept ans dans les médias au sujet des risques liés à l’usine AZF. Il a été à l’origine de plusieurs propositions au Parlement européen ayant pour but de tirer les leçons de la catastrophe, mais… « Les textes que j’avais rédigés ont été vidés de leur substance par l’action des lobbyistes. Les pétroliers peuvent dormir tranquilles ! ». Cependant, les mots qu’il prononcera salle Jean Mermoz tiendront, à mon avis, plus du discours de campagne (les élections européennes se tiennent en juin 2009), que d’une parole porteuse des révélations espérées par le public…