Le premier procès de l'explosion de l'usine AZF
Procès AZF, après l’effervescence des débuts, un certain ennui…

La cour le jour de l'ouverture du procés d'AZF.

L’histoire de cet évènement judiciaire exceptionnel continue, après avoir évoqué l’historique de l’usine, la catastrophe, et le premier jour du procès, nous poursuivons notre récit avec la première semaine d’audiences.

Un début sous le feu des caméras

Du début du procès, je garde l’image de la nuée de photographes et de caméramans qui s’est abattue sur le tribunal quand la cour est apparue. Des centaines de journalistes du monde entier accrédités ! Durant quelques minutes seulement, ils furent autorisés à photographier et filmer la cour, puis il leur fut demandé de quitter les lieux. Les débats allaient commencer. Je restais seul avec mes caméras dans cette salle contenant plus de mille personnes, dans une atmosphère lourde d’émotion.

La justice n’est pas l’affaire d’un homme seul

Je me souviens avoir cadré en gros plan le président quand il a pris la parole. Il est apparu, seul, sur les différents écrans répartis dans la salle, comme sur l’écran installé à l’extérieur dans la tente réservée à la presse. Au bout de quelques instants, une autorité du tribunal s’est approchée de moi. Je ne devais pas filmer le président seul ! Je devais filmer la cour, c’est-à-dire le président et ses deux assesseurs, ou le président, ses deux assesseurs et les deux remplaçants, bref, trois ou cinq personnes, mais pas une seule. La justice n’est pas rendue par un homme, mais par un tribunal. De la symbolique des images…

J’appris à cette occasion que, dans une annexe de la salle Jean Mermoz, étaient installés les officiels : représentants du préfet, du tribunal, commissaire de police, etc. Eux aussi assistaient à la retransmission en direct.
J’ai élargi mon plan, afin de transmettre une juste représentation de la justice. Et il en fut ainsi les quatre mois que dura le procès.

Biechlin et avocat
Serge Biechlin et son avocat Me Soulez-la-Rivière dans la salle Jean Mermoz le jour de l’ouverture du procés d’AZF.
© Scheiber/Andia

Les responsabilités d’un directeur d’usine

Vous vous souvenez que, peu après le début du procès, le nombre de prévenus a été multiplié par deux. A Serge Biechlin, directeur de l’usine AZF, et à la filiale du groupe Total « Grande Paroisse » (maison mère d’AZF), ont été ajoutés Thierry Desmarest, PDG de Total à l’époque des faits, et le groupe Total lui-même.
Le premier prévenu à avoir été entendu, M.Biechlin, avait déclaré au bord des larmes, et après avoir affirmé sa compassion et sa solidarité envers toutes les victimes – parmi les 21 personnes décédées sur le site, 10 étaient employées de l’usine, dont 5 proches collaborateurs de M.Biechlin –, « cette affaire unique détruira toute ma vie ».
Quoi que l’on puisse penser des circonstances de l’accident et des responsabilités de chacun, on ne pouvait douter de la sincérité de cet homme et du fardeau qui pesait sur ses épaules.

Peu après l’ouverture du procès, le tribunal étudia aussi la demande d’une avocate de la partie civile consistant à joindre au dossier le cas de deux victimes dont le décès fut lié aux conséquences de l’explosion du 21 septembre 2001. C’est ainsi que le nombre officiel des décès atteignit 31.

Le premier vice-président du Tribunal de Grande Instance de Toulouse avait déclaré qu’en décidant d’inclure deux prévenus supplémentaires, le tribunal affirmait son indépendance et « sa volonté de transparence et de recherche sans concession de la vérité ».

En effet si, pour l’instruction, les causes de l’explosion de l’usine AZF étaient accidentelles, la thèse était contestée par les prévenus. Mais nombreuses étaient également les personnes de « tout bord » – parties civiles, professionnels ayant enquêté, citoyens – pour qui subsistaient des interrogations réelles concernant l’enquête et l’origine de l’explosion, notamment, quid de la piste de l’attentat. Le président Le Monnyer avait d’ailleurs déclaré à l’ouverture des débats : « La question d’un acte intentionnel me paraît légitime ».
Mais les semaines qui suivirent furent perçues par beaucoup comme des discours d’expert difficiles à suivre, et surtout ennuyeux… Il y fut question de chimie, de types d’explosifs, de règles de sécurité environnementale (réglementation SEVESO notamment), de règles juridiques, etc.

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Salle d’audience du procès AZF

Le procès ne fait plus salle comble.

Résultat, jour après jour, le public va délaisser la salle Jean Mermoz. Quant à la tente réservée à la presse, elle sera bientôt désertée. Mais le président Le Monnyer veut un procès pédagogique, la thèse officielle doit absolument être dénuée d’ambiguïtés, dépourvue de toute zone d’ombre, et c’est pour cette raison que le président s’en tiendra au programme qu’il a établi, même si les médias et le public s’éloignent temporairement, même si la défense piaffe d’impatience et voudrait au plus vite affronter les experts officiels. Non, le fond de l’affaire ne sera abordé qu’un mois plus tard.

C’est alors que débuteront d’intenses débats, pas toujours abordables pour les non-initiés, déroutés par des conclusions parfois opposées. On entendra des avis tranchés, des opinions très partagées. Pour certains, la piste du sabotage ne repose sur rien, il s’agit d’un fantasme généré par les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis. Pour d’autres, trop de pistes ont été insuffisamment explorées, et il existe de nombreux indices convergeant vers la possibilité d’un attentat.

Des éléments judiciaires invalidés

Les débats sont touffus et complexes. Il m’arrivera parfois de ne comprendre certaines choses que bien plus tard.
Je me souviens du débat concernant une pièce annulée et donc retirée du dossier ; le président avait indiqué qu’elle ne pouvait pas être citée dans les débats.

Le jour du verdict, j’apprendrai par l’une des parties civiles que cette pièce était en fait une analyse de résidus de sac. Le sac en question, c’était l’un des fameux bigs bags, ces grands contenants souples de près de 1000 litres en textile technique destinés à recueillir en vrac les matières sèches non dangereuses. Les bigs bags furent une des vedettes du procès.

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Big Bag

La procédure judiciaire veut que ce soit la personne qui a effectué le prélèvement qui procède à l’analyse du produit prélevé, dans le cas présent, les résidus trouvés dans le big bag. Or, l’analyse de ces résidus avait été réalisée non par la personne qui avait prélevé, mais par un de ses collègues du labo d’analyses. La partie adverse avait donc demandé l’annulation de cette pièce.
Au cours des journées passées Jean Mermoz, j’ai pu constater que le président menait les débats sans être plongé dans ses papiers, il connaissait le dossier sur le bout des doigts. Et il se montrait toujours attentif et pertinent dans ses questions.
Moi qui n’avais jusque-là jamais assisté à aucun procès, j’étais impressionné par cette parfaite connaissance d’un dossier qui pesait cent-neuf tonnes, soit 54 000 pages. Tous les volumes de cette instruction ayant duré plus de six ans étaient stockés dans des armoires fortes qui étaient ouvertes au début des audiences et fermées à la fin. Le travail accompli préalablement au procès n’avait rien d’abstrait !

Crédit Photo: Scheiber F/ Andia.fr

 

 

 

Hervé Marcé
Vidéaste & documentariste depuis 1988 —