Après avoir relaté les débuts de l’usine et l’explosion du 21 septembre 2001, nous entamons la chronique du procès de la catastrophe
23 février 2009, le procès démarre.
Il durera 4 mois. Les faits, eux, remontent à plus de sept ans.
Quelques jours avant, je me suis rendu dans la salle Jean Mermoz, aménagée pour accueillir les audiences. Je voulais vérifier le dispositif technique qui permettra de diffuser les images et d’enregistrer le procès pour la postérité. Les images, c’est moi qui vais les tourner.
Les échanges entre la cour et les différents intervenants seront suivis grâce à trois écrans géants, et la salle sera entièrement sonorisée. Une tente est aménagée à l’extérieur pour les journalistes, elle sera chauffée – il ne fait pas très chaud en février à Toulouse – et les débats y seront retransmis en temps réel.
En arrivant dans la salle Jean Mermoz, je constate que les membres du tribunal y sont présents. C’est pour moi l’occasion de faire connaissance avec le président, M. Thomas Le Monnyer. Rapidement, nous en venons à discuter des modalités de retransmission. Je devrai filmer la personne qui parle, sans interruption. Je ne réaliserai aucun plan de coupe sur une personne isolée. Le seul plan d’illustration autorisé sera un plan large de la salle. M. Le Monnyer me précise que le maître des débats et de la diffusion, c’est lui. Donc, s’il me demande de couper les caméras, je devrai m’exécuter immédiatement. D’autre part, les caméras devront être coupées lors des suspensions d’audience.
Premier jour du procès.
Des centaines de personnes sont présentes dans la salle Jean Mermoz.
Ce sont les questions d’organisation qui sont soulevées en premier.
Puis le président fait une mise en garde: le tribunal ressent toute l’émotion qui accompagne ce procès hors normes, mais chacun dans la salle doit être certain qu’aucune distinction ne sera faite entre les victimes.
Vient ensuite l’appel des prévenus, le directeur d’AZF à l’époque des faits, et le représentant de la filiale du groupe Total « Grande Paroisse ». Les motifs de leur mise en examen sont énoncés : homicides et blessures involontaires, destructions et dégradations involontaires par l’effet d’une explosion ou d’un incendie, infraction au code du travail.
Enfin, c’est l’appel des 1800 parties civiles, parmi lesquelles les familles des 31 personnes décédées le 21 septembre 2001.
L’audience est levée à 20H.
Je devrai vite considérer cette première journée d’audience, qui dura six heures, comme une petite journée ! Par la suite, on terminera plus souvent autour de 22H ou 23H. Au vu du volume du dossier (50 000 pages réparties dans une centaine de tomes) et de la disponibilité de la salle (la salle Jean Mermoz était appelée à d’autres utilisations après le procès), le président n’hésitera pas à prolonger la durée des audiences, ce qui entraînera des protestations du côté des avocats…
Total sur le banc des accusés ?
La première semaine du procès est surtout consacrée à la demande de citation directe de Total et de Thierry Desmarets, PDG du groupe Total au moment des faits. Total était la maison mère, Total avait par conséquent donné des directives sur la manière de gérer l’usine.
Plusieurs parties civiles demandent cette comparution, notamment Jean-François Grelier et l’association des Sinistrés qu’il a fondée avec Frédéric Arrou peu après l’explosion du 21 septembre 2001.
Seulement, cette demande a déjà été formulée par Gérard Ratier et l’association des Familles endeuillées, et cette demande a été rejetée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse. Le procureur de la République et l’avocat de Total, Maître Jean Veil, plaident donc l’irrecevabilité.
Dans un premier temps le tribunal remet sa décision au fond. En clair, cela signifie que c’est au moment du jugement, courant novembre, quand il jugera le fond du dossier, qu’il prendra une décision concernant la recevabilité éventuelle de la demande de comparution de Total.
Donc, les audiences continuent.
Et finalement, c’est le président du tribunal lui-même qui, un peu plus tard, demande si les dossiers Total et Grande Paroisse ne devraient pas être traités ensemble. Le tribunal entend les avocats des parties civiles et de la défense, puis fait connaître sa décision. C’est oui !
Thierry Desmarets et Total vont rejoindre Serge Biechlin et la Grande Paroisse sur le banc des prévenus. Enfin, pas tout à fait… Thierry Desmarest sera entendu en juin, quand le tribunal se penchera sur la culpabilité de Total. Les dossiers sont joints mais la recevabilité de la comparution de Total reste lié au fond, au mois de novembre, le tribunal peut décider de déclarer irrecevable la demande de citation de Total; auquel cas, le groupe pétrolier et son ancien PDG auront été prévenus « virtuels » pendant quelques mois…
Deux hommes dans la tourmente
Avant de poursuivre cette histoire judiciaire, je voudrais revenir sur l’action de deux hommes que j’avais eu l’occasion de rencontrer quelques années auparavant. Jean-François Grelier, fondateur avec Frédéric Arrou de l’association des Sinistrés du 21 septembre 2001, et Gérard Ratier, fondateur de l’association des Familles endeuillées.
Jean-François Grelier, enseignant à l’IUFM de Toulouse, ancien militant du PSU ayant rejoint Lutte Ouvrière, regardait par la fenêtre de son appartement de la cité du Parc le nuage qui s’élevait comme d’habitude au-dessus de l’usine AZF, ce 21 septembre 2001 aux environs de dix heures. Quelques minutes plus tard, le souffle de l’explosion pulvérisait la vitre derrière laquelle il se trouvait et il était projeté en arrière contre un escalier. Il sera grièvement blessé, notamment au visage.
Très vite, il fonde l’association des Sinistrés avec Frédéric Arrou, qui en sera président.
Il crée également l’association des Sans-Fenêtres, pour les copropriétaires de la cité du Parc. Cette cité du quartier Lafourguette compte des petits propriétaires, et beaucoup de familles nombreuses d’origine étrangère vivant dans des conditions difficiles. Quatre mois après l’explosion, la cité est toujours sinistrée. Seul un quart des vitres a été remplacé. Un peu partout, c’est du contreplaqué qui colmate les fenêtres. Le bâtiment B, déclaré dangereux, est dans le même état que le jour de la catastrophe. Les syndics sont dépassés et les habitants découragés, engloutis sous les problèmes d’assurances, de contestations, de surfacturations d’électricité, etc. « Ici, il faut avoir les nerfs solides » dit Jean-François Grelier, devenu le porte-voix de tous.
Gérard Ratier a perdu son fils le 21 septembre 2001. Le jeune homme réparait un ascenseur dans une tour d’AZF. Il était employé de la société OTIS.
Après plusieurs mois « coupé du monde », Gérard Ratier s’est rapproché de l’association des Sinistrés, avant de décider de rechercher les familles des disparus, « simplement pour prendre contact ». C’est ainsi qu’il sera amené à créer, en 2004, l’association des Familles endeuillées, avant de plonger dans l’énorme dossier de l’instruction judiciaire et d’en éplucher chaque pièce. «Il fallait que je regarde de plus près le dossier pénal pour expliquer aux adhérents.»
Ces deux hommes ont acquis une connaissance du dossier extrêmement précise et ils en ont tiré des conclusions qui, pour eux et leurs associations, sont sans appel.
Crédit photo: Vincent Dargent/ABACA