Le premier procès de l'explosion de l'usine AZF
AZF – Des témoignages et une hypothèse

Dégâts dans les rues aux alentour de l'usine

Déjà plus d’un mois que le procès a commencé.

 

Avril 2009.

Dans la salle d’audience, le quotidien se déroule au rythme des témoignages de différentes origines.
Une semaine est consacrée à l’écoute des témoins directs de l’explosion.

 

Un livre cité

Livre témoins sous influence
Le président se montre attentif, et prudent. Il a cité le livre « Témoins sous influence ». Cet ouvrage, écrit par un collectif d’éminents psychologues, remet en cause la toute-puissance du témoignage, s’appuyant sur des données restées longtemps méconnues des autorités judiciaires et du public français, alors qu’elles étaient à l’origine de réformes de la procédure pénale dans nombre de pays anglo-saxons.
On comprend au travers des pages de ce livre le caractère relatif de certains témoignages et la nécessité de s’intéresser à celui qui témoigne tout autant qu’à la nature des informations qu’il rapporte, et au devenir de ces informations chez ceux qui en seront dépositaires (jurés par exemple). Les biais – voire les erreurs – liés à la perception sociale sont courants. D’autre part, la forte charge émotionnelle de l’événement sur lequel porte le témoignage peut « polluer » celui-ci. C’est arrivé pour des personnes aussi rompues à l’exercice que des policiers.

Le président du tribunal donne un exemple concernant justement l’explosion du 21 septembre 2001 : une personne qui faisait ses courses dans un supermarché toulousain ce matin-là a affirmé que, quelques instants avant l’explosion, le magasin a diffusé une annonce invitant tous les clients à sortir. Cette affirmation – erronée – donna à penser aux partisans de la thèse de l’attentat qu’il y avait eu des éléments précurseurs.

Un travail de fourmi

Le président rappelle que la police a enquêté, qu’elle a écouté tous les témoins, qu’elle a visionné les enregistrements de vidéo surveillance, et que rien n’a permis de mettre en évidence qu’une explosion a eu lieu avant que le souffle n’arrive.

Pendant plusieurs jours, les témoins se succèdent à la barre. Nous sommes également informés du résultat des enquêtes qui ont exploré la piste des phénomènes étranges ayant eu lieu, selon de nombreuses personnes, avant l’explosion : hélicoptère survolant Toulouse avec un homme suspendu à une échelle de corde, arcs électriques, fumée doublée d’une forte odeur, nappe de brume blanche flottant dans l’air, faisceau lumineux, etc.

Je prends conscience, au fur et à mesure que l’audience se déroule, du travail de fourmi, long et méticuleux, consciencieux et aussi exhaustif que possible, mené par la police et la justice. Tous les témoignages ont fait l’objet d’une enquête, y compris ceux qui, de prime abord, paraissaient farfelus. La police a cherché des preuves, des témoins qui ne se seraient pas encore manifestés. C’est ce travail empreint d’objectivité qui a permis d’écarter au fur et à mesure les faits non avérés.

La thèse officielle

Voici donc venu le moment de vous parler de ce que l’on a appelé « la thèse officielle ». C’est ainsi qu’ont été nommées les conclusions générales de l’enquête par ceux qui émettaient des doutes et qui restaient persuadés qu’il y avait eu un élément déclencheur extérieur.  

L’usine AZF de Toulouse produisait sur le même lieu du chlore (DCCNA), connu sous le nom de chlore-choc pour les piscines, et de l’ammonitrate. Ce dernier définit deux produits :le nitrate d’ammonium agricole, qui est un engrais utilisé dans le monde entier, et le nitrate d’ammonium industriel qui, mélangé à du fuel, entre dans la composition des explosifs de carrières. A noter que le nitrate d’ammonium pur est réputé pour être un produit stable et peu sensible à la détonation. 

Mais le nitrate d’ammonium agricole est connu pour avoir provoqué de nombreuses catastrophes, la dernière en date étant celle de Beyrouth en 2020.

Et c’est une voiture bourrée d’explosif contenant du nitrate d’ammonium qui a servi pour l’attentat d’Oklahoma City en 1995.

Étude de l'institut pour la maitrise des risques sur incompatibilité du Nitrate ammonium et le DCCNA

Deux produits incompatible.

À l’usine de La Grande Paroisse, deux produits connus pour être incompatibles étaient fabriqués : produits chlorés et nitrate d’ammonium. C’était la seule usine en Europe à fabriquer ces deux produits sur le même site. Le nitrate d’ammonium et les produits chlorés pour piscine conduisent, s’ils se rencontrent en milieu humide, à la formation de trichlorure d’azote, qui peut exploser spontanément.

Le directeur de l’usine toulousaine, M. Biechlin, a répété plusieurs fois lors du procès que les deux produits étaient fabriqués sur deux pôles géographiques bien distincts : au nord l’ammonitrate, à 900 mètres au sud le chlore. Une barrière virtuelle infranchissable existait donc, afin que les deux produits ne se rencontrent pas… mais ce n’était pas tout à fait le cas.

Depuis un moment, il avait été décidé de récupérer, en vue d’une valorisation, les sacs de nitrates vides ou en mauvais état, en août 2001 ce recyclage avait été étendu aux sacs venant des ateliers de produit chlorés. Il devait pour cela être lavés pour ne contenir aucun résidu.

Big Bag. Ce type de sacs contenaient les produits qui ont explosé à AZF
Ces sacs, appelés big bags, contiennent quand ils sont remplis jusqu’à 1 tonne de produit. Lorsqu’ils sont vidés, il reste toujours quelques résidus.
Les sacs vides furent stockés dans un hangar situé entre les zones nord et sud de l’usine, le hangar 335, surnommé le « demi-grand ». Les sacs étaient ensuite collectés par une entreprise spécialisée, puis dirigés vers une filière de valorisation matière ou énergie.

Cette première démarche de valorisation de ce qui n’était jusque-là que déchets destinés à l’élimination permit d’envisager la récupération de l’ensemble des sacs usagés présents sur l’usine.

A partir de ce moment-là, des big bags hors d‘usage ayant contenu des nitrates et des sacs ayant contenu des produits chlorés furent acheminés jusqu’au hangar 335, où ils étaient nettoyés avant d’être collectés. . Toute la thèse officielle tient donc que des résidus de chlore auraient été également présents dans le 335 malgré la consigne de laver les sacs.

Les résidus de produit tombés sur le sol étaient balayés et mis dans une benne. Cette benne était transportée au hangar 221.
C’est là qu’apparait ce « fameux » hangar 221, celui où l’explosion eut lieu.

ONIA AZF silo à ammonitrate 1933

Hangar 221

Ce hangar de cent mètres de long était un lieu de transit pour les nitrates déclassés après criblage (granulométrie hors normes), ou parce qu’ils étaient tombés sur le sol en raison d’une défaillance de la chaîne, ou parce que les sacs qui les contenaient avaient été déchirés et qu’ils étaient donc souillés. Les nitrates déclassés étaient déversés dans un box situé à l’entrée du bâtiment. Deux fois par jour, le contenu du box était vidé sur le tas principal au moyen d’un chouleur (engin à benne mécanique). Le tas principal était situé derrière un muret. Le hangar 221 était autorisé par arrêté préfectoral à contenir jusqu’à 500 tonnes de nitrate d’ammonium en vrac. Le contenu du hangar était régulièrement évacué et gagnait des usines spécialisées où il était transformé en engrais complexes.

Non, l’usine n’était pas une usine poubelle, mais le hangar 221 l’était, au sens propre, puisque tout ce qui n’était pas utilisable y partait.

Crédit Photo: Jean Philippe ARLES/CIT’images

 

 

 

 

Hervé Marcé
Vidéaste & documentariste depuis 1988 —