Le premier procès de l'explosion de l'usine AZF
Procès AZF, fin provisoire…

Plaidoiries de fin de procès.

Cette fin du premier procès AZF devant le tribunal correctionnel de Toulouse est consacrée aux plaidoiries des différentes parties.

 

Les différents points de vues

Dans leur grande majorité, les avocats des parties civiles sont convaincus que l’explosion du 21 septembre 2001 est d’origine accidentelle. Ils requièrent la condamnation pour négligences de la Grande Paroisse (maison mère d’AZF et filiale de Total) et de Serge Biechlin (directeur de l’usine).

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A l’inverse, les avocats des cadres de l’usine et de l’association AZF Mémoire et Solidarité ne croient pas à l’accident. Ils demandent un supplément d’enquêtes.

AZF Mémoire et Solidarité regroupe plusieurs centaines d’anciens salariés, l’association a été créée après la fermeture de l’usine, afin de maintenir le lien entre les employés, et de « contribuer à établir la vérité concernant les origines de la dramatique explosion de 2001 ». Les anciens d’AZF restent convaincus que l’accident chimique n’est pas la cause de l’explosion de leur usine.

On ne peut que constater, de nouveau, la profonde scission entre « victimes internes » et « victimes externes ».

Des procureurs

L’État est représenté par le ministère public. C’est debout, pendant près de huit heures, que les deux procureurs représentant l’Etat vont exposer leur réquisitoire. Oui, à la différence des magistrats du siège qui prononcent le jugement – dans le cas présent, le président Le Monnyer et ses deux assesseurs –,  le procureur plaide debout ! Le procureur représente la société et défend ses intérêts, mais il n’est l’avocat d’aucune partie, il reste libre dans la recherche de la vérité. Sa mission est de faire respecter la loi et de porter l’accusation s’il estime que les charges sont suffisantes, mais il ne prononce jamais de jugement.

Pour le procureur Patrice Michel, le procès a permis d’examiner de nombreux éléments ignorés du grand public, et le travail des journalistes présents depuis quatre mois mérite d’être salué. Mais Patrice Michel tient avant tout à rendre hommage aux victimes : « Jamais je n’oublierai le visage de ces hommes, femmes, enfants, venus témoigner et nous parler de ceux qu’ils ont injustement perdus ». Il parle également des sauveteurs, puis revient sur l’énorme travail d’enquête réalisé par ceux qui ont œuvré pour que la vérité soit faite. Mais il précise que les scientifiques de la défense ne sont pas des experts judiciaires : ils ne sont ni neutres, ni indépendants ; rémunérés par Total, ils sont tenus d’obéir à leur client.

C’est ensuite Claudie Viaud, la seconde procureure, qui attaque l’expert de la défense (souvenez-vous du « Pr Tournesol » dont il était question dans l’épisode précédent) : « Ses observations sont sans fondement, ne sont pas toujours loyales et ne résistent pas à la pertinence des expériences du CEG (Centre d’Etudes de Gramat). On vous trompe ! La détonation s’est bien initiée dans le box ». L’avis est clair et net ! Divers autres sujets polémiques sont d’ailleurs abordés par les deux procureurs : les hélicoptères survolant le site juste avant l’explosion, l’hypothèse de l’attentat terroriste, l’emballement d’une certaine presse qui désigna à l’opinion publique des suspects morts dans l’explosion. Et bien non, tout cela ne tient pas la route. Pour les procureurs, l’accident ne fait aucun doute. Patrice Michel ditmême qu’ « une des clés pour comprendre la catastrophe, c’est ce qui se passe dans le hangar 335. La défense nous a dit souvent : pas de DCCNa (poudre chlorée), pas de détonation. Eh bien j’affirme : il y avait du DCCNa dans ce 335. Il y avait les germes dans cette entreprise pour que la catastrophe se réalise. »

Les procureurs vont requérir les peines maximales pour les prévenus, soit 225 000 euros d’amende pour la Grande Paroisse, représentée par son directeur général Daniel Grasset, et trois ans d’emprisonnement avec sursis et 45 000 euros d’amende pour Serge Biechlin. Le ministère public estime que des négligences ont été commises et qu’elles sont à l’origine de la catastrophe.

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Des avocats

C’est maintenant au tour des avocats de la défense de s’exprimer.

Pour eux, la preuve qu’il y a eu mélange de chlore et de nitrate sur les lieux de l’explosion n’existe pas et par conséquent, il ne peut y avoir condamnation. L’un des avocats de la défense laisse même planer le doute quant à la piste de l’attentat. Il fait plusieurs sous-entendus à propos des victimes que la presse a décrites comme terroristes potentiels.

Il me semble que tous les avocats de la défense sont parisiens sauf un, qui est toulousain et commence ainsi : « Je ne vais pas plaider, du moins de la manière convenue que je connais depuis 40 ans ». La salle l’écoute avec attention. Il explique qu’il était sur les lieux dès le 22 septembre ; il lui avait été demandé de mettre en place un système d’indemnisation. Il fallait « essayer le plus rapidement possible d’indemniser, d’apaiser un certain nombre de douleurs » dit-il. Il parle aussi de deux de ses consœurs : « Je voudrais dire que j’ai été admiratif de leur dévouement, dépassant leur mission (…)  elles ont fait un travail fantastique et ont été près de leurs clients, il s’agit de Maîtres Stella Bisseuil et Agnès Casero. Mon hommage est d’autant plus sincère que nous ne sommes d’accord sur rien ». Maître Bisseuil représente l’association des familles endeuillées et Maître Casero le comité de défense des victimes.

L’avocat toulousain raconte ensuite comment il a découvert un monde ouvrier où tout le monde se connait, où chacun connait les enfants des autres. Il parle des gardes à vue et des mises en examen de personnes confrontées à une machine judiciaire qu’elles n’avaient jamais côtoyée. Et il met en doute la théorie des experts, celle qui repose sur la certitude qu’un homme a pelleté des restes de DCCNa : comment  croire à cette hypothèse, alors que lors de la reconstitution, à la deuxième pelletée de produit, l’expert du tribunal avait les yeux rouges et irrités ! L’avocat conclut ainsi :

« La vérité, c’est qu’on ne sait pas ».

Le 29 juin 2009, l’audience est terminée.

30 juin 2009

 

Le tribunal va délibérer. Une date est fixée pour la lecture du délibéré. Ce sera le 19 novembre 2009.

Moi, durant ce laps de temps, je m’envole pour le Canada, destination Calgary et une autre aventure : je vais construire l’infrastructure technique nécessaire à la mise en ligne d’une web série quotidienne consacrée aux olympiades des métiers.

Délibéré

A l’approche du 19 novembre, alors que je suis revenu en France depuis quelques temps, je contacte le Président  Le Monnyer, pour savoir si la date du délibéré n’a pas été modifiée. Il me faut également connaître les éventuelles dispositions particulières à prendre avant de remettre en place les installations préalables à l’enregistrement de la phase de délibéré. Après m’avoir confirmé la date, le Président ajoute : « la décision ne plaira pas à tout le monde ». Vu la fracture qui existe depuis le 21 septembre 2001 entre les intra et les extra-usines, je ne suis guère surpris ! Je pense même que, de toute façon, une décision de justice plait rarement à tout le monde.

Le 19 novembre à quinze heures, les représentants du tribunal font leur apparition devant une salle bondée. Le Président expose les motivations du tribunal, puis annonce que Total et son PDG à l’époque des faits, Thierry Desmarets, sont mis hors de cause. « Le magistrat instructeur a estimé qu’il n’y avait pas lieu de les renvoyer devant le tribunal » dit-il, ils sont « purement et simplement mis hors de cause ».

Et coup de tonnerre

A seize heures, la décision tombe enfin. « Le tribunal prononce la relaxe au bénéfice du doute », déclare le Président Le Monnyer, « le tribunal ne peut envisager de raisonner par défaut, car sur le plan pénal il faut démontrer une faute commise et le lien de causalité certain avec les dommages ». Il ajoute que « la loi ne prévoit pas la présomption ». Seules, des « fautes organisationnelles » au sein de l’usine sont dénoncées en ce qui concerne Serge Biechlin, l’ancien directeur, et la Grande paroisse.
Du côté des anciens salariés d’AZF, ces mots sont accueillis par des applaudissements, mais du côté des parties civiles, il se dit ouvertement que « c’est honteux » !

Non, la décision ne plaît pas à tout le monde…

Ainsi, au terme de quatre mois d’un procès hors normes, le Tribunal correctionnel de Toulouse rendit un jugement de relaxe générale à l’encontre de tous les prévenus, laissant de nombreuses parties sur leur faim… Et le grand public retint que la catastrophe toulousaine du 21 septembre 2001 était due au déversement accidentel de quelques kilos de résidus chlorés sur un tas de nitrate d’ammonium stocké dans un hangar.

Le parcours judiciaire n’est pas fini

Il y aura appel en 2012, puis cassation en 2015, et renvoi en 2017.

Cette histoire judiciaire prit fin le 17 décembre 2019, plus de 10 ans après le premier procès, et 18 ans après la catastrophe, avec le rejet par la Cour de cassation du pourvoi de M. Biechlin et de la Grande paroisse. Ils avaient été condamnés respectivement à quinze mois de prison avec sursis pour homicide involontaire et à 225 000 euros d’amende par la cour d’appel de Paris le 31 octobre 2017.

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Explosion à Beyrouth le 4 août 2020

Toulouse, encore sous le risque d’une explosion majeure.

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Pour finir, j’évoquerai un risque qui menace Toulouse encore aujourd’hui. Ce sont les ballastières. À quelques centaines de mètres de l’ancien site d’AZF, sont stockées dans des lacs artificiels environ 5000 tonnes de nitrocellulose. Ce puissant explosif a été utilisé lors de la Première Guerre mondiale et repose là depuis plus d’un siècle. Ce sont des bandelettes de poudre contenues dans des caisses immergées. L’eau rend l’explosif inerte. Cet explosif peut s’enflammer à l’air libre. En novembre 2020, le Premier Ministre Jean Castex a annoncé une dépollution du site pour 2022. Espérons… 

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Site des ballastières à quelques centaines de mètres de la Société Nationale des Poudres et Explosifs.


Crédit Photo (photo d’en tête): Scheiber /Andia.fr

 

 

 

Hervé Marcé
Vidéaste & documentariste depuis 1988 —