Le premier procès de l'explosion de l'usine AZF
Des enquêtes parallèles, des recherches secrètes, et… le Pr Tournesol à la barre

Au cours des huit années qui se sont écoulées entre l’explosion d’AZF et l’ouverture du procès, de nombreuses personnes ont mené leur enquête, seules ou regroupées. Car le contexte – dix jours après les attentats du 11 septembre –, et l’ampleur du traumatisme – trente morts, des milliers de blessés, des centaines de foyers sans logement, une usine détruite et les alentours soufflés sur des centaines de mètres à la ronde –, ont conduit à des hypothèses de tous ordres. D’emblée, un soupçon de mensonge par omission, voire de falsification des informations a pesé sur l’enquête officielle, et « les gens » ont cherché à comprendre par eux-mêmes. Tous ces enquêteurs en marge du système officiel, scientifiques ou non, ont livré leurs explications au cours de l’instruction ; il fut question d’essai nucléaire, d’attentat lié à Al-Qaïda, etc., etc.

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Le dossier judiciaire d’AZF

Des doutes subsistent

L’instruction a pris en compte une dizaine de ces contributions, puis les a invalidées. La justice n’a pas utilisé le travail de ces enquêteurs non accrédités pour le procès. Cependant, dans un souci de transparence, le tribunal a fait le choix de les entendre. La question finale, celle qui revenait toujours, est restée la même : que s’était-il passé le matin du 21 septembre 2001 dans le hangar 221 ? Et plus précisément : était-il possible qu’il y ait eu dans ce hangar un mélange de nitrates et de produits chlorés, et que ce mélange ait généré l’explosion destructrice ?

Ce sont des experts en chimie qui, fin mai, soit trois mois après le début du procès, viennent affirmer à la barre qu’il a été impossible de mettre en évidence la présence de chlore dans les échantillons prélevés dans le hangar 335 (le hangar d’où provenaient les produits stockés dans le 221). Ces experts ont travaillé sur des scellés judiciaires d’échantillons récupérés après l’accident. Mais ces scellés se sont révélés être en mauvais état, voire carrément inutilisables… Sur les photos qui nous sont présentées, on distingue un produit blanc, contenu dans des flacons ou des sachets en plastique. Le Président du tribunal souligne que les scellés ont « déjà été utilisés ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ???

Ce n’est qu’à la toute fin du procès que je vais comprendre. C’est de la bouche d’une partie civile que j’apprendrai en quoi ces scellés avaient « déjà été utilisés ». Les échantillons prélevés sur le sol du hangar 335, qui avaient été mis sous scellés par la police, avaient effectivement déjà été analysés. L’expert qui avait réalisé le prélèvement n’avait pas effectué lui-même ces analyses ; il avait confié cette tâche aux membres de son équipe. Les analyses avaient montré la présence de chlore. Or, dans le cadre d’une expertise judiciaire, il est impératif que la personne qui analyse le produit soit celle qui a prélevé l’échantillon. Là, ce n’était pas le cas. Par conséquent, la pièce à conviction avait été purement et simplement invalidée ! La preuve possible que le mélange explosif nitrates et chlore avait eu lieu s’était donc « envolée » en raison d’une erreur de procédure !

Je me suis souvenu qu’à l’ouverture du procès, le Président Lemonnyer avait informé la salle qu’une pièce invalidée lors de l’instruction ne pourrait être citée lors des audiences.

Guerre d’experts

Au cours des deux derniers mois du procès, nous allons assister à l’affrontement des experts en détonique (étude des explosifs). Cette guerre opposera notamment les experts judiciaires et une personnalité qui, dès que je l’ai vue, m’a fait penser au Pr Tournesol des aventures de Tintin ! Il s’agissait d’un expert nommé par la défense. Ce savant arrivait de Belgique. Il s’est révélé très vite fort distrait, quelquefois, il oubliait même des faits avérés. Je ne saurais dire s’il s’agissait là de simulation ou de réalité.

Quoi qu’il en soit, notre Pr Tournesol tentera de démontrer que les thèses présentées par les experts judiciaires étaient fausses. Mais j’y reviendrai. Car il y aura aussi d’autres experts de la défense aux yeux desquels le mélange chlore-nitrates n’avait pas pu provoquer l’explosion.

Mais alors, qu’en était-il de la vidéo et des photos présentées par un scientifique du CNRS de Poitiers qui démontraient le contraire ? L’homme avait mené des travaux de recherches commandés par… Total. Travaux qui étaient restés secrets. « Quand on travaille sur contrat, l’industriel paye et il est maître de la publication des travaux. À plusieurs reprises, j’ai demandé la publication des résultats, et cela a été refusé » a expliqué le scientifique devant une salle tout ouïe. Le Président nous informa que c’était « une indiscrétion » (sic) qui avait permis au juge d’instruction d’apprendre l’existence de ces travaux ; ils avaient ensuite été saisis par la police.

Le chercheur, directeur du laboratoire de combustion et de détonique de Poitiers, nous expliqua de quelle façon il avait procédé : il avait mélangé du nitrate et du chlore, puis ajouté de l’eau, et à chaque fois, le mélange avait explosé.

Ce scientifique sera entendu de nouveau peu avant la fin du procès. Il présentera alors une vidéo au cours de laquelle on verra le mélange dans des tubes en verre  (lors de sa première présentation, les tubes étaient opaques, en fer ou en PVC). Cette fois, on pourra voir un fluide monter dans le tube, changer de couleur, puis exploser. « Vous avez assisté à une auto-explosion » nous dit-il, précisant qu’une cinquantaine de tests avaient été effectués. A chaque fois, il y avait eu explosion au bout de quelques minutes.

Henri-Noël Presles le scientifique de Poitiers explique.

Le retour du Pr Tournesol

Et revoici notre détonicien tournesolesque ! Pour lui, tout ceci est dénué d’intérêt. La piste d’une explosion intentionnelle lui tient à cœur, elle a, selon lui, été écartée à tort par les autres experts, et ce, simplement parce que dans la plupart des enquêtes concernant un attentat, on retrouve certains indices comme des détonateurs, et qu’après l’explosion de l’usine AZF, les enquêteurs n’ont rien trouvé de tel. Notre savant explique qu’il peut y avoir des détonateurs si petits qu’après pareille explosion, on ne retrouve rien.

Mais l’homme va plus loin. Pour lui, le fameux tir 24 de la base de Gramat cité par les experts judiciaires (tir reproduisant une explosion par le mélange de nitrate d’ammonium, de produits chlorés et d’humidité) ne constitue pas une preuve. Il affirme avoir effectué des tirs expérimentaux sur une base militaire de Slovaquie. Il a tenté de reproduire l’équivalent TNT (méthode destinée à mesurer l’énergie libérée lors d’une explosion) de l’explosion n° 24 de Gramat. Mais l’ensemble de la charge n’a pas explosé, ce qui invalide à ses yeux la théorie judiciaire selon laquelle une première explosion se serait produite dans le box du 221, à l’endroit où la fameuse benne censée contenir du chlore et du nitrate en provenance du hangar 335 a été déchargée le matin du 21 septembre, première explosion qui aurait pulvérisé le mur de bétondu tas principal, et projeté des débris dans ce tas principal, agissant de ce fait comme un détonateur et provoquant l’explosion des plus de 300 tonnes de nitrate d’ammonium présentes.

Mais Maître Casero, avocate de l’Association des sinistrés du 21 septembre, est très sceptique : « J’ai vu un film, nous ne savons rien de ces essais, qui n’ont aucune valeur juridique. Quelle configuration avez-vous utilisée? Deux tas rapprochés? La défense vous utilise comme scientifique à tout faire pour démolir les expertises. Pour moi, vous êtes le docteur Schnock ». Pourquoi notre Professeur n’a pas reproduit le tir 24, mais seulement l’équivalent TNT ? Il précise qu’il n’était pas toujours présent lors des essais en Slovaquie, qu’il laissait parfois ses équipes aux manettes. Il y a dans ses réponses de plus en plus de flou. L’incertitude s’immisce sérieusement dans son témoignage. Il va jusqu’à se contredire, prétendant ne pas avoir vu certains éléments, avant de reconnaître quelques minutes plus tard que si, il les a vus.

Il semblerait bien que Maître Casero ait raison…

 

Hervé Marcé
Vidéaste & documentariste depuis 1988 —