Quatre août 2020, Beyrouth, Liban. Peu avant 18 heures, heure locale, une explosion retentit sur le port. Une fumée grise monte vers le ciel. Quelques instants plus tard, une déflagration secoue la zone industrialo-portuaire et le centre de la ville. En quelques secondes, tout le secteur est ravagé.
Le souffle est ressenti jusqu’à Chypre, à 200 km de là. Un nuage en forme de champignon s’élève à l’endroit où se dressait le principal lieu d’échange de marchandises du Liban. Sur des dizaines de kilomètres, la ville est un champ de ruines. Un premier bilan fait état de 113 morts et 4000 blessés.
Les hypothèses initiales mettent en cause un stockage de feux d’artifice, ou bien de pétrole, à moins que ce ne soit des produits chimiques. Les autorités annoncent quelques heures plus tard qu’il s’agit en fait de l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, stockées là depuis des années sans mesure de sécurité.
Cet accident terrible retentit douloureusement dans le cœur des toulousains. Dix-neuf ans plus tôt, c’est le même produit, utilisé essentiellement dans la fabrication d’engrais azotés, qui a provoqué l’explosion du hangar 221 de l’usine AZF.
Le 21 septembre 2001, 31 personnes trouvent la mort, dont 21 sur le site de la « Grande Paroisse ». 21 000 personnes sont touchées, soit de façon directe (souffle de l’explosion), soit de façon indirecte (blessures résultant des matériaux transportés par le souffle), et nombreuses seront celles qui souffriront des mois, voire des années durant, de problèmes auditifs, de dépression, d’insomnie nécessitant une prise en charge médicamenteuse. Certaines personnes ont encore aujourd’hui des séquelles.
C’est le sud-ouest de la ville qui sera le plus meurtri : les milliers de logements situés près du périphérique extérieur, les zones commerciales, les entreprises, le centre hospitalier Marchant, le lycée Gallieni, le grand palais des sports… Et bien sûr, le site AZF lui-même. Seule la tour blanche et rouge est épargnée.Le souffle a fait des dégâts jusque dans le centre de Toulouse (murs lézardés, vitres brisées, toitures envolées…). La détonation a été entendue à 80 km alentour. Elle a creusé un cratère de 6 mètres de profondeur.La ville mettra des années à se reconstruire.
Un hommage aux victimes a été mis en place par la Dépêche du Midi
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C’est plus de 7 ans après, le 23 février 2009, que s’ouvre le procès en correctionnel de la catastrophe.
Il s’agit d’un procès hors norme. Il se tient dans une salle municipale qui peut accueillir 1000 personnes, la salle Jean Mermoz, spécialement aménagée pour l’occasion. 1800 parties civiles, 2949 plaignants, une soixantaine d’avocats, des dizaines d’experts s’y succéderont. Cinq magistrats – au lieu de trois habituellement – composeront le tribunal correctionnel, et deux magistrats – au lieu d’un seul – représenteront le ministère public. On attend plus de deux cents journalistes.
Le procès est prévu pour durer 4 mois. Il sera filmé et diffusé dans la salle d’audience sur grand écran. Il sera également enregistré, pour l’Histoire. Les enregistrements seront à la disposition du public 50 ans après la dernière procédure judiciaire.
C’est à moi que sont confiés la réalisation de l’enregistrement du procès et sa diffusion. Je suis un « passeur d’histoires ». Ce procès me passionne, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme bon nombre de Toulousains je veux connaître, enfin, la vérité. D’autre part, ayant réalisé il y a quelques années un documentaire sur la catastrophe, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec de nombreux protagonistes. Enfin, je suis impatient de voir de près comment fonctionne un tribunal correctionnel. J’assisterai, pendant quatre mois, à chaque journée d’audience.
C’est ce procès, à l’époque le plus grand procès correctionnel jamais tenu en France, que je vais vous raconter semaine après semaine. Je vais le raconter avec un recul de plus de 10 ans, au cours desquels une relaxe à l’encontre des prévenus a tout d’abord été prononcée par le Tribunal de Toulouse, avant que, 3 ans plus tard, la cour d’appel ne condamne la « Grande Paroisse » et l’ancien directeur du site pour homicide involontaire. Cette condamnation sera annulée 3 ans plus tard par la cour de cassation. L’affaire sera renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Un nouveau procès aura lieu. Il durera lui aussi 4 mois. L’ancien directeur du site AZF écopera de 15 mois de prison avec sursis (au lieu de 3 ans, dont 2 avec sursis auparavant) et la société sera, de nouveau, condamnée à une amende de 225 000 €. Directeur et entreprise se pourvoiront en cassation, mais ces ultimes recours seront rejetés le 17 décembre 2019. Tout en vous livrant les journées d’audience telles que je les ai vécues, je m’autoriserai parfois une incursion dans les suites de l’affaire, la lecture du procès s’en trouvera enrichie.
A présent, plantons le décor.
Il y a un siècle, la France importe ses nitrates issues de mine du Chili. Le coût des importations est tel qu’il apparait vite plus intéressant de construire une usine sur le territoire national. A 3 km au sud-ouest du centre-ville de Toulouse, sur des terrains libérés par la Poudrerie nationale, une vaste usine est créée. Elle commence à produire des nitrates en 1927. Des quartiers et des équipements sportifs sont bâtis non loin du site, pour les ouvriers. Dans l’après-guerre, ce sont les quartiers du Mirail et d’Empalot qui voient le jour.
La ville s’étend désormais jusqu’à l’usine, qui, avec ses voisines – la Société Nationale des Poudres et Explosifs, et Tolochimie – représente un pôle d’activité chimique.
Au début des années quatre-vingt, les quantités produites par l’entreprise la classent au premier rang mondial des producteurs et des exportateurs de nitrate d’ammonium. Compte-tenu du risque majeur que représentent ses activités, l’établissement est soumis à la réglementation des Installations classées pour la protection de l’environnement, qui impose aux industriels la mise en œuvre de mesures visant à maîtriser les risques de leurs installations. La gestion du risque est l’affaire de l’industriel, sous l’autorité de l’Etat (inspection des installations classées). L’usine de la « Grande Paroisse » est en outre classée « Seveso II seuil haut ». Elle est donc assujettie à des règles de sécurité extrêmement strictes. Mais…